LE DON ET L’ANTI-ÉCONOMIQUE DANS LA SOCIÉTÉ ARABO-MUSULMANE

Selon un auteur ancien, « la générosité est la base de toutes les vertus ». On pourrait ajouter qu’elle est la base de toute littérature-c’est du moins l’impression qui se dégage de la lecture de l’essai bien documenté et agréable à lire que Naïma Benabdelali a consacré à l’économie du don dans la société arabe. La période étudiée correspond à ce qu’on appelle l’âge d’or de la culture arabe. Dans la Bagdad florissante des Abbassides, se côtoient des Califes, des Vizirs, des poètes, des logoraphes, des commerçants, des hommes d’armes et des gueux. Tous, à des degrès divers, se soumettent à la logique du don. En s’entourant de poètes, de littérateurs, le prince exerce un contôle sur la parole qu’il tourne à son avantage. Mais ses thuriféraires le forcent par leur louanges excessives à se conformer à l’image de l’homme généreux qu’ils décrivent. Pris au piège de la parole, il doit distibuer de l’or, des tenues d’apparat, des esclaves, des concessions de domaines fonciers, des pierres précieuses, des parfums. Il doit tenir « table ouverte », organiser des fêtes somptueuses, étaler les signes de sa puissance et de son prestige, se ruiner pour  » se rallier les coeurs », s’efforcer de surpasser les autres princes, se distinguer. Il y va de son honneur, de sa renommée, de son existence même. Je donne, donc je suis. La question du don est au carrefour de plusieurs disciplines: sociologie. anthropologie, histoire, littérature, linguistique, économie, politique. Naïma Benabdelali en a exploré toute la complexité et la richesse. En montrant le don  » étroitement lié au verbe » , en voyant en lui « le noeud d’articulations de l’économique au politique et au symbolique », elle a éclairé un côté peu connu de la culture arabe.